Voici l’une de mes nouvelles, la première que je mets en ligne sur ce blog. Il s’agissait au départ d’une commande sur un thème, mais ce fut finalement un
texte plus ouvertement policier, que j’écrivis dans la foulée, qui bénéficia d’une publication. C’est donc de l’inédit que je vous propose.
Bonne lecture !
TENSION A LA REDACTION
Un vent de panique soufflait dans les bureaux de la rédaction. 30 ans d’existence, ça allait se fêter ! Un numéro spécial, avec une couverture brillante,
un texte de chacun des grands auteurs de la revue, des séries de photos retraçant les faits marquants et l’évolution de l’équipe et des activités de la « maison »… seule ombre au
tableau : Baptiste ! Ce bon vieux Baptiste !
Il avait été désigné pour écrire un éditorial plein d’énergie, sur un ton original, tout en montrant que la revue se tournait vers l’avenir. Un bel avenir,
puisqu’elle se vendait furieusement bien, près de 6000 exemplaires pour une distribution régionale. Un beau score, un lectorat fidèle. La parution, initialement trimestrielle, était passée à un
rythme bimestriel.
Le contenu du numéro à venir, numéro-anniversaire donc, était riche, et tout le monde s’était décarcassé pour fournir des textes pertinents.
C’était compter sans Baptiste. Ce dernier était l’un des piliers de la rédaction du magazine, connu pour ses excentricités. Or, la dernière en date avait
provoqué la colère de bon nombre de ses collègues. Non content d’avoir choisi la semaine de bouclage de la maquette pour s’évader dans le sud de la France, afin de se dorer la pilule,
probablement en charmante compagnie, le gaillard n’avait rien trouvé de mieux que d’organiser un jeu de piste pour ses infortunés camarades. Le texte de son éditorial ne figurait nulle part sur
son ordinateur. Ils avaient été plusieurs à chercher, successivement, dans tous les fichiers possibles et imaginables de son disque dur, en vain. En revanche, Nicole, qui avait l’œil, avait
ouvert un document se nommant étrangement « Pour les copains », et le petit texte suivant était apparu sur l’écran, narguant tout le monde :
« Bien malin celui qui trouvera mon édito. Je vous avertis, il y a un indice, sous vos
yeux. Il s’agit juste, pour vous, de vous y prendre tôt. Je compte sur toute la bande, et vous souhaite mes meilleurs vœux. »
En-dessous de ces quelques mots figurait un numéro de téléphone portable. Cédric l’avait identifié immédiatement comme étant celui de Baptiste.
- Non, mais, il croit quoi, qu’on n’a que ça à faire, de jouer au chat et à la souris ! lança Maxime, furieux et gesticulant autour des autres.
Appelez-le, qu’on en finisse !
- J’ai plutôt envie de jouer son jeu, fit Nicole, avec un soupçon de malice dans le regard. J’aimerais bien le moucher, en évitant de lui demander de
l’aide.
- Vous avez regardé partout ? fit Maxime, qui ne décolérait pas.
Le bureau de Baptiste était en désordre. Tous les papiers furent inspectés, de la coupure de journal vieille de six mois jusqu’à la photo montrant l’église la
plus ancienne de la ville. On trouvait même une édition en livre de poche de « La lettre volée » d’Edgar Allan Poe.
Nicole fouilla dans les tiroirs et inspecta la moindre chemise, vérifiant qu’aucune feuille ne contenait ce qu’elle cherchait.
- Il n’y a pas de clé USB lui appartenant ? demanda Maxime. Il a tout pris avec lui ?
Aucune clé ne fut effectivement trouvée, qui aurait été susceptible d’appartenir au jeune homme absent.
Les bureaux de tous furent passés au peigne fin. Sans résultat.
- Un mail ! Il n’aurait pas envoyé un mail à l’un de nous ? fit Sébastien, avec une expression joviale, qui soulignait sa satisfaction d’avoir
proposé à son tour une piste.
Mais là encore, ils déchantèrent rapidement. Tout le monde vérifia sa boîte mail, et personne n’avait reçu de message de Baptiste. Dans la foulée, Nicole alla
vérifier le contenu de la boîte aux lettres, au cas où. Mais, en dehors d’un prospectus vantant les talents d’un voyant qui venait de s’installer à son compte en ville, il n’y avait rien du
tout.
Une recherche approfondie commença dans la grande pièce où les bureaux se trouvaient. Les quelques étagères de livres disséminées çà et là furent vidées, les
ouvrages passés en revue les uns après les autres, pour être sûr qu’aucune feuille n’avait été dissimulée au milieu des pages. Des soupirs d’agacement et des gestes d’humeur ponctuaient les
recherches, qui demeuraient infructueuses.
Maxime, de loin le plus énervé de la bande, arracha par mégarde une feuille punaisée au grand tableau mural qui servait d’affichage pour les notes de service
et autres infos d’actualité. Il avait une pile de livres à la main, s’apprêtant à les remettre en place. Lâchant un juron bien senti, il s’empressa de ramasser la punaise, avant que quelqu’un ne
se la plante dans le pied.
- Tu sais où ça me démange de la planter ? fit-il, en regardant Sébastien, qui était à deux doigts de s’esclaffer.
- Je ne suis pas certaine d’avoir envie de l’entendre, répondit Nicole, qui s’activait de son côté.
Une bonne heure s’écoula avant que les recherches ne cessent. Rien de pertinent n’avait été trouvé. La perspective de devoir appeler Baptiste devenait de plus
en plus inévitable.
- Bon, le bouclage de la maquette, c’est pour ce soir, les enfants, dit Maxime, d’un ton sentencieux. L’heure n’est plus à la rigolade, soit on écrit un nouvel
éditorial, et tant pis pour celui de Baptiste, soit on l’appelle. Mais si c’est moi qui l’ai au bout du fil, je ne vais pas être sympa, croyez-moi…
- Il parlait d’un indice, rétorqua Nicole. Ça, au moins, on devrait pouvoir le trouver. Il doit s’agir de quelque chose d’inhabituel.
- Il y a son bouquin d’Edgar Poe ! Personne n’a regardé dedans ? s’enquit Sébastien.
Le jeune homme se dirigea vers le bureau de son collègue absent, et feuilleta le livre. Il eut vite fait de vérifier qu’aucun papier n’était glissé à
l’intérieur. Dans le même temps, le visage de Nicole s’illumina. Elle rejoignit son collègue, et lui arracha presque le volume des mains :
- On aurait dû y penser plus tôt. Ce livre n’était pas à sa place sur son bureau, cela aurait dû nous mettre la puce à l’oreille ! Vous avez lu « La
lettre volée » ? Vous connaissez le principe ?
Cédric fut le plus rapide à répondre, peut-être parce qu’il était le seul à savoir :
- Oui, tout le monde a cherché désespérément cette lettre, qui s’était littéralement volatilisée. Personne n’a su expliquer la façon dont elle avait
disparu. Elle était tout simplement mise bien en évidence, dans un endroit qui crevait tellement les yeux que personne n’avait pensé la trouver là.
- Mais alors, dit Maxime, qui essayait de transposer cette situation au cas qui l’agaçait tant, il l’a collé où, son édito ?
- Il l’a plutôt punaisé, je pense, répondit Nicole, avec un grand sourire.
Elle se dirigea vers le grand tableau recouvert de feuilles, au milieu de la pièce. Examinant une par une les fiches, elle tomba enfin sur ce qu’elle était
persuadée de trouver :
- Et voilà son texte ! Il l’avait effectivement mis sous notre nez. Et on n’a pas eu l’idée de regarder ici, convaincus que nous étions qu’il l’avait bien
caché. C’était malin.
Maxime s’empara de la feuille d’un geste brusque, et lança :
- Bon, je retape ça vite fait, et je vous rejoins autour d’un petit plat sympa, en ville ?
Avril 2012